Quand la Terre attire, le ciel tiraille ...

Du haut de son mètre quatre-vingt-trois, il considérait le sol. Les pieds ancrés sur terre. Comment échapper à la pesanteur quotidenne .. Après marcher courir, rêver, s'envoler.... comment ? Et cette petite voix agaçante qui le titillait : Qu'attends-tu ?

Petite

Il serait bien temps de penser à toutes les occasions manquées quand il regarderait ses pieds rivés au sol sans renoncer à ses désirs les plus secrets,  et toutes les désolations qui rendraient son coeur morne. Il avait fini par chérir son travail, et les contraintes de la vie, qui donnaient consistance à son existence. Les chaînes devenaient confortables, et dans une douce résignation, il ressentait les possibilités de transcender sa vie.

Qu'attends-tu ?

Sa tâche était noble, il ne pourrait s'élancer dans le ciel que l'espace d'un instant, le temps d'une chanson, d'une esquisse sur du papier grainé, il flotterait dans les cieux, irait saluer les dieux ...s'ils existent ! Ah, s'envoler dans les notes de musique, s'échapper entre les lignes d'un récit, s'évader dans les aplats colorés d'un tableau, saisir quelques instants l'éternité ! Puis, aspiré par les obligations, aspiré par ses résolutions, les larmes couleraient comme il courait, les haies d'êtres aimés à ses côtés, les encouragements des arbres, et ces nuages qui le narguaient !

Qu'attends-tu ?

Le temps filait et lui avec, se perdait en réflexions. Tous les désirs restés l'état de rêves le désolaient. Il acceptait cependant sa place: si le ciel était facilement accessible, aurait-il

vraiment envie d'y aller ? Il y avait les champs oniriques où l'on fermait les yeux, s'endormait et où tout était possible. Les rêves éveillés restaient beaucoup plus difficiles à atteindre; il fallait garder les yeux rivés sur son objectif, et ne pas se laisser décourager par toutes les obstacles rencontrés. Etre têtu, et un tantinet soit peu masochiste. Et même, se réjouir de toutes les embûches à franchir, grâce à des appuis solides. Un ventre plein, un toit, l'amour de ses proches. Chacun levait les yeux à un moment ou l'autre, regardait le soleil l'éblouir, en se demandant : Pourquoi suis-je terrestre ? La terre, mon socle, mon ancrage, mon support, ma source, mes origines, mon terreau, la tranquillité, l'amour, l'équilibre, l'appui ! Courir juste pour courir quelle drôle d'idée, courir pour se dépasser là oui il comprenait, courir assis, en faisant son travail, oui, mais en fait, pourquoi courir ? La peur de ne pas accomplir sa vie, et d'arriver sur son lit de mort déjà mort, plein de regrets ? Le temps comme ennemi, non comme allié ?

Qu'attends-tu ? Poursuis ton bonheur et rattrape-le !

Tant d'efforts pour connaître un peu les vertiges de l'âme, ivresse de l'instant attrapé au vol,  et qui glisse si vite entre les doigts ! Voilà. Toujours droit devant. Et si possible un peu en hauteur aussi. Le ciel, l'élévation, le rêve, les mots doux, les mots fous, l'impatience, la folie, les excès, les tourbillons, le vent dans les ailes déployées !  Les oiseaux ne sont-ils pas les premiers à aimer se poser pour savourer la chaleur d'un nid et le repos sur un fil tendu ? Être un oiseau c'est beau, être tout simplement un homme, c'est mieux, les pieds sur terre la tête dans les cieux, voilà une idée bonne !

Qu'attends-tu ?

Il s'élança et ...

Hé, attends-moi !

Suite et fin de  Le coureur

1. http://rosapristina.canalblog.com/archives/2014/11/03/30859084.html

2. http://rosapristina.canalblog.com/archives/2014/11/09/30875903.html

3. http://rosapristina.canalblog.com/archives/2015/01/13/31292788.html