Un moment pour soi

Marcher. Sans vraiment savoir où l'on va. Le menton haut, le nez au vent, les cheveux ondoyant dans le souffle de la foule. Apprécier le temps qui fait une pause, et incarner, l'espace ténu d'un instant, un héros de film dont la séquence se passerait au ralenti. les gestes souples et la démarche assurée. Dans une insolente décontraction, être dans le monde. Et pour une fois, décider de sa journée. Un coup de fil pour prévenir. C'est la moindre des choses. Cadrer ce moment pour soi, pour mieux l'apprécier. Il ne s'agit pas de faire n'importe quoi non plus ! Arranger les mots et jeter un voile de fumée sur les vraies raisons de cette absence. C'est un moment pour soi. Expliquer le pourquoi, ce qui nous anime à ce moment, cette envie de prendre la tagente, une fois, le ballet des paroles confuses, ne regarder que soi.

Marcher. aller où bon nous semble. suivre un chemin différent et éviter l'itinéraire quotidien. Ainsi, à chaque coin de rue, les paysages nouveaux et les personnes rencontrées surgissent avec un roulement de tambour. Loin du bavardage banal qui rassure, être dans l'instant. Les gens nous voient avec l'oeil naïf de celui qui découvre, et nous prennent comme nous sommes. C'est reposant. A moins de profiter de ce moment pour soi pour jouer un jeu et paraître autre que la personne que nous sommes ? Se jouer de masque et en changer . Pouvoir jouissif.  Tout est possible.

Marcher. Avancer. Là. Dans la vie. Etre vivant. Le menton haut , le nez au vent. Chercher autour de soi des bouts de son âme effilochée. Dans ce poème du XVIème siècle. Dans la chanson que nous fredonnons et dont nous ne connaissons pas toutes les paroles. Dans ce croissant tiède déchiré d'une main gourmande et qui offre à notre bouche un souvenir d'enfance. Dans les yeux de cet homme qui avance à petit pas dans la foule, comme un oiseau perdu sur le bord d'une branche. Dans les centaines de regards qui glissent sur nous, tous les jours. J'ai crée pendant quelques heures un monde pour moi. J'ai tenté d'en accroché des dizaines, des regards.

Ils ne nous voient pas. Tant pis pour eux.

C'est un moment pour soi. Un moment pour moi.

Je ne ramperai pas devant votre indifférence.