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Voilà Rosapristina !
3 mars 2015

Qu'est-ce que gagner sa vie ?

La question écrite sur le tableau donnait le ton. M. Berdot déambulait dans la salle, en regardant ses élèves d'un air rieur. Il semblait se réjouir de leurs réflexions, qui, malgré leur jeune âge, allaient, il en avait la certitude, être riches et le satisfaire. Kévin, replaça sa mèche de cheveux blonds et leva la main :

- Gagner sa vie, c'est travailler !

- Faire un travail que tu aimes, proposa Mathieu.

- Dans quel contexte emploie-t-on cette expression ? demanda le professeur.

- "Gagner sa vie"." Je gagne bien ma vie." pour dire, j'ai un bon salaire, compléta Lola derrière ses grosses lunettes.

- Et un bon salaire, c'est quoi ? poursuivit M.Berdot

- Quand tu gagnes plein de thunes et que tu n'as pas à te priver ! répliqua Kévin.

- Oui c'est ça renchérit Moussa, quand tu peux faire ce que tu veux, te payer une grosse bagnole, sortir, aller au resto...

Quelques élèves ricanèrent.

- Parce que c'est la misère quand tu bosses et qu'en plus tu ne gagnes pas de thunes, reprit Kévin.

- Tout travail mérite salaire, renchérit un autre.

- Oui mais il y a quand même des boulots où même si tu bosses, t'as l'impression d'être pauvre et tu ne peux rien faire, compléta Matthieu.

- Le travail, c'est une contrainte nécessaire pour sa propre liberté.

Tout le monde se retourna vers Natacha.

- Très intéressant Natacha, je t'écoute, encouragea l'enseignant.

- Il n'y a que quand on est face à des limites que l'on a conscience de sa propre liberté.

Toute la classe se tut. Certains élèves Elle avait visé juste.Le professeur reprit la parole.

- Ta remarque est très intéressante Natacha, mais tu t'éloignes du sujet.

- Je ne m'éloigne pas du sujet monsieur, on se met des contraintes pour gagner un peu de liberté. Si je n'ai pas de moyen, pas d'argent, tout ça, je ne peux pas faire grand-chose. C'est cette socitétéqui nous onflige toutes ces contraintes, et nous, nous n'avons pas d'autre choix que de suivre ce système pour tenter un tant soit peu de s'en sortir.

Un air de gêne plana dans la classe. Trois, quatre secondes s'écoulèrent dans le calme. Puis M.Berdot reprit:

- Nous disions donc que travailler implique de gagner de l'argent. Gagner sa vie, c'est donc gagner de l'argent ?

Les élèves murmurèrent. M.Berdot continua :

- Et pourquoi est-il nécessairee de gagner de l'argent ?

- Pour se nourrir se loger ...

- Voyager...

- Si tu ne casques pas, t'es dans la merde ! Heu pardon, m'sieur.

- Sauf vous m'sieur quand vous nous donnez du travail, vous ne nous payez pas.

- Non, bien sûr, je ne vous paie pas en monnaie sonnante et trébuchante, mais vous y gagner quand même. Car" le gain de notre étude, c'est d'en devenir meilleur et plus sage."

- Depuis quand vous citez Montaigne, M'sieur ?

Le professeur regarda Kevin avec malice et précisa :

- Je rajouerais même comme dirait Jean de La Fontaine " Travaillez, prenez de la peine, c'est le fonds qui manque le moins.(...) Le travail est un trésor."

- Hé m'sieur, c'est pas " question pour un champion" !

Quelques rires, puis le professeur recentra le débat .

- Avec une activité rémunérée, on cherche à gagner de quoi subvenir à nos besoins :manger, se loger, partir Or, tout travail se résume-t-il à cela ? Rien d'autre ?

- Mon père, il bosse à l'usine, quand je vois dans quel état il est quand il rentre du boulot, je trouve que c'est très cher payer de sa personne pour nous donner de quoi vivre.

- Ça me fait penser à la Genèse quand Adam est condamné à travailler à la sueur de son front, ajouta Léa cachée derrière ses lunettes.

- Le travail, c'est une vraie punition !

Les élèves rient.

- Je vais vous poser une autre question : travailler est-ce perdre son temps ?

- Bien sûr M'sieur ! Il fait beau et on est là à user nos fut' sur ces chaises.

- On dirait qu'on doit mériter notre vie. Comme si elle était à vendre.

- La vie comme marchandise.

- La vie a donc un prix ?

- André Malraux il dit "la vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie"

- C'est pas lui, c'est Alain Souchon

- Il s'est inspiré de Malraux !

- C'est bien vous avez de bonnes références. Je voudrais revenir sur le verbe "gagner". Que vous évoque-t-il ?

- Un jeu. Gagner ou perdre.

- Il y a des gagnants et des perdants.

- Normal, l'homme est un loup pour l'homme.

- Moi ça me fait penser à une conquête. On part à la conquête de sa vie, parce qu'avec un travail, on dispose ensuite de moyens pour s'élever, on rencontre des gens, on fait sa place dans la société, tout ça...

- Très intéressant Lola, continue !

- C'est important d'avoir un travail.

- T'es maso !

- Travailler, est-ce perdre son temps ? demanda M.Berdot.

- Si votre travail ne vous plait pas, oui, vous perdez votre temps !

-Et vous monsieur, vous perdez votre temps ?

Un joyeux chahut anima la classe. Les elèves suivaient pourtant attentivement la discussion

- .Quand on travaille, on consacre du temps à produire quelquechose alors ce temps-là on ne le passe pas pour les loisirs.

- Moi je préfère m'amuser.

Un murmure d'assentiment envahit la salle, devant l'évidence.

- S'amuser, se détendre, c'est aussi gagner du temps, gagner sa vie, car ce sont des choses que les autres ne peuvent pas faire à notre place ! Tandis que leménage ou les courses quelqu'un peut le faire à notre place !

- Mais comment tu ferais pour te payer tes places de ciné, sans fric ?

- J'm'en fous, je ne vais plus au ciné, je pique les films sur internet !

Ricanements.

- En fait on perd du temps pour essayer de gagner du temps libre !

- Mon père, maintenant qu'il est au chômage, il déprime, il a l'impression de ne plus servir à rien...

Un silence. Tous comprenaient. M Berdot compléta.

- Oui, la société est régie par un nombre de règles, et le travail permet les échanges et donne à chacun sa place. Parce que notre système est fait ainsi. On parle bien de population active. Le travail a pour but premier de fournir des richesses à la société. Un savoir, une technique, des légumes cultivés, etc...

Les paroles de M.Berdot se firent lointaines et se perdirent dans le plafond de la salle de classe. Natacha ne suivait plus le cours. Ses yeux s'étaient une fois encore posé sur la place vide , à droite, près du mur, là où son amie Angèle était assise, trois semaines auparavant. Comment la vie pouvait-elle continuer sans elle, et la Terre tourner ? Les gens continuaient à vivre, et elle, elle se faisait manger par les vers. Sa vue se brouilla, elle baissa la tête. Une larme vint éclater sur la feuille, formant ainsi une fleur bleue à la corolle acérée sur les lignes d'écriture. Elle songea à tout ce que son amie lui avait dit, les rêves déçus, les envies, les espoirs, les lubies !

 

- Nous disions donc que travailler implique de gagner de l'argent. Gagner sa vie, c'est donc gagner de l'argent ?

- Oh merci Monsieur, mais vous vous ne nous donnez rien !

- Mais il s'en fiche le prof, si tu ne bosses pas tu bosses pour toi !

- Exactement ! Peut-être que vous ne voyez pas les bénéfices de tous vos cours maintenant, mais vous verrez dans quelques années !

- Moi je suis désolée mais pour être journaliste, je n'ai pas besoin de connaître Thalès et les racines carrées !

- On cherche à gagner de quoi subvenir à nos besoins, manger, se loger, etc...

- Or, tout travail se résume-t-il à cela ? Demanda le professeur. Vous pouvez donc faire porter votre interrogation sur la conception du travail .

- Moi ça me fait penser à une conquête. On part à la conquête de sa vie, parce qu'avec un travail, on dispose ensuite de moyens de s'élever, on rencontre des gens, on fait sa place dans la société, tout ça..

- Très intéressant Lola, continue !

- C'est important d'avoir un travail.

- T'es maso !

- « Souviens-toi que le temps est un joueur avide qui gagne sans tricher à tout coup, c'est la loi. » Disait Baudelaire

- Le temps est immatériel et il nous échappe quoi qu'il arrive.

- C'est vrai, ça, on ne peut pas parler de gagner son temps, quand les minutes coulent et que nous ne pouvons arrêter leur écoulement.

- Nous allons tous mourir !

 

Quelques élèves prirent exagérément des poses effrayées et se mirent à pousser de petits cris. M.Berdot recentra la discussion avec cette question :

- Travailler est-ce perdre son temps ?

- Quand je vois mon père qui passe ses journées, à découper des poulets, qui rentre crevé, qui ne pense qu'à une chose, se foutre sur son canapé et regarder des films, je ne sais pas s'il s'épanouit dans son travail ! Et pourtant il n'a pas le choix, il fait ça pour nous !

- Tu parles d'un boulot ! Découper des poulets !

- Tu crois quoi ? Que tes filets de poulets ils poussent sur des arbres !

- Peut-être trouve-t-il une consolation justement dans le fait qu'il subvient à vos besoins.

- Gagner SA vie, pas celle des autres ! ça veut faire un minimum quelque chose qui est bon pour soi !

- Ce qui est bon, c’est ce qui s’accorde avec ma nature.

 

 

- Il faudrait trouver un équilibre entre subsistance des besoins et épanouissement personnel, précisa le professeur, si la vie est suffisamment pleine, alors oui, elle peut s'arrêter.

- Et c'est quoi une vie pleine ?

- Celle où on est heureux, celle où on se sent accompli, qu'on a réalisé ses rêves...

- Une vie où l'on est heureux de ce que l'on est ?

- Ouais... Je crois que c'est ça qui console mon père: il ne fait pas un boulot qui l'épanouit, mais il dit qu'il est fier de pouvoir nous donner de quoi manger, partir en vacances, tout ça...

- Donc malgré son travail, ton père est heureux de pouvoir subvenir à vos besoins, et il s'accomplit dans cette tâche. Et c'est quoi une vie pleinement humaine ? C'est une vie où l'on s'accomplit dans sa nature d'être humain ? Demanda le professeur.

- Ça veut dire qu'on travaille pour se mettre la pression, être les meilleurs, être heureux ?

- En gros on est en train de dire qu'on perd sa vie à la gagner !

M. Berdot compléta :

-  En1968, les gens se révoltaient contre la productivité intellectuelle, et le travail devenu aliénant. Ils revendiquaient le droit à la paresse, et le temps passé à transcender sa nature d'être humain. Quand on prend le temps en terme de qualité et non en terme de quantité, ce qui est de toute façon une gageure puisque le temps est irréversible, on se dit que l'on a des possibilité de bien l'utiliser. Si on prend le temps de manière quantitative, c'est perdu d'avance, rappelez-vous Lamartine et son « Ô temps suspend ton vol ! » Vous avez donc là les termes qui vous permettent de déterminer ce qui fait la valeur d’une existence. Gagner sa vie: travailler, subir des contraintes et s'en accommoder, trouver un équilibre, et s'épanouir malgré tout. Gagner sa vie, c'est la vivre du mieux que l'on peut. Prenez le temps en terme de qualité, jamais en terme de quantité car vous pouvez faire quelque chose pour avoir une belle vie.

 

gagnersavie

 

Le débat est ouvert ...

 

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