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Voilà Rosapristina !
5 septembre 2016

Merci de votre compréhension

Mercidevotrecompréhension

 

J'ai vraiment hésité un moment avant de poster ce texte dans cette rubrique alors qu'il aurait très bien pu figurer dans la catégorie des petits blablas et grands coups de gueule. Si à la lecture des premières lignes, toute ressemblance avec des fait réels n'est pas forcément fortuite, le lecteur comprendra, au fil de ces lignes, qu'elle est pure fiction.

 

Vous devez comprendre M.Martin, que les difficultés économiques que nous traversons ne nous permettent pas de maintenir une masse salariale …

La voix se perdit pour ne devenir qu'un bourdonnement hostile dans sa tête. On l'invita poliment à rentrer chez lui, il recevrait son solde de tout compte par voie postale dans les quinze jours. Hébété, il se tenait les bras ballants sur la chaise, tandis que le DRH, avec une délicatesse devenue inutile, se dirigea vers la porte, montrant quelques signes d'impatience, pensez- donc M.Martin, pour moi la journée est loin d'être finie, si vous pouviez maintenant vous lever ...

Bien sûr, il devait comprendre.

Un coup de massue, uppercut, et voilà M.Martin sur le pavé. A se poser les questions dont il pensait être épargné un jour. Le voici donc chômeur, à réfléchir sur son avenir qui s'amenuisait avec les années écoulées. M.Martin contemplait son reflet dans le miroir. Ses tempes grisonnantes et le léger affaissement des traits de son visage ne le rassurèrent guère quant à sa capacité à rebondir après un licenciement économique. Encore sonné par cette nouvelle, il termina sa toilette et remarqua l'écoulement difficile de la cuvette des WC. Il se résolut à appeler le plombier dès le lendemain, et se coucha, pour se réfugier dans un sommeil sans rêve.

M.Martin pouvait prétendre aux allocations chômage, alleluia. Il se remit donc en quête des certificats de travail qui représentaient les années d’emplois aussi divers que variés, là où il prenait les boulots comme ça, sans se soucier du lendemain, nourri de l'espoir de vivre un jour d'un emploi plaisant et bien payé. Les rêves de sa jeunesse, où il avait accepté tout et n’importe quoi, persuadé que la situation serait transitoire. A présent il n'avait plus le droit de rêver, il devait trouver quelque chose, et vite ! Il se remit donc à la rédaction d'un CV. Il s'agissait de faire le bilan de sa vie ratée et d'enjoliver son parcours sans sortir des chemins de la vérité pour ne pas se faire coincer par les recruteurs. Gagner sa vie, qu'est-ce que cela signifiait donc ? S'échiner et profiter du peu de temps libre qu'il pouvait rester pour s'évader et s'épanouir ? Dans ces moments de remise en question, les paroles du blues du businessman lui revenaient en tête « dans la vie on fait ce qu'on peut, pas ce qu'on veut »

Evidemment.

La rédaction de la lettre de motivation aurait pu tenir à quelques mots: j'ai besoin de fric et vite ! Ou bien je veux gagner ma vie, et vite, ou encore j'ai besoin d'un boulot et comme je veux gagner ma vie honnêtement sans avoir recours à un trafic louche, je postule chez vous, parce que vous avez l'air, pardon, que dis-je, vous êtes une entreprise super-chouette.

Il dut broder un peu, comme l'exigeait tacitement la démarche, pour remplir une page complète, chercha au fond de lui quelles étaient ses ressources, et donna des motivations acceptables : l'intérêt pour le poste, l'envie, transformée en chance s'il était pris, de travailler dans cette entreprise, etc. Des salamalecs et ronds de jambe nécessaires dans le grand jeu de rôle de la recherche d'emploi ! Il ne pouvait pas rester comme ça, à attendre que la vie passe mais le marché du travail était des plus moroses, il se résolut à rayer son rêve de trouver du travail dans la branche qu'il avait choisie. Pas de budget, pas de besoins dans ce domaine, désolé, merci de penser à vous reconvertir. Se former, il y avait bien pensé: un serveur vocal le trimballait d'un poste à l'autre, impossible d'avoir qui que ce soit et malgré et l'attente, et la docilité avec laquelle il avait suivi les instructions du serveur qui lui demandait de taper sur 1, sur 2, sur 10 ou #, * et qui lui tapait sur le système , il ne parvint pas à joindre un conseiller, un vrai, en chair et en os. Il renouvela l'opération pour, nouveauté, tomber sur ce message: « votre situation actuelle ne vous permet pas de joindre ce service. »

Soit. Inutile de s'énerver. Il recommencerait.

Il appela le numéro surtaxé, seul moyen de joindre une administration disposée, sur le papier du moins, à l'aider. Après presque 10 minutes d'attente sous une musique des plus agaçantes, il eut un conseiller en ligne qui ne le conseilla pas du tout. M.Martin se raisonna, après tout, cet agent n'y était pour rien, et prit son mal en patience quand celui-ci l'informa qu'il ne pouvait rien faire pour lui, parce qu'il n'avait pas accès à son dossier. Soit, ce conseiller faisait son boulot, et il déplorait la mauvaise organisation de la structure et raccrocha, merci quand même monsieur et bonne journée.

Soit. Les jours se suivirent et M.Martin n'entailla pas sa motivation : hé, c'est qu'il était un battant !

Quand il releva son courrier, il reçu l'avis d'imposition. Il décaissa les chèques, encaissa les obligations. Soit il en était ainsi. Il déposa son courrier dans le grand vase en verre, puisqu'il ne servait plus qu'à cela, sa femme étant partie depuis plus de trois ans, pourquoi prendrait-il la peine d'acheter des fleurs ? Quand elle l'avait quitté, elle lui avait seulement expliqué qu'elle ne l'aimait plus, que la vie était ainsi faite, qu'il ne devait pas lui en vouloir, et même, mieux, il devait la comprendre.Soit.

Entre temps, dans son logement, des dépôts de calcaire bouchaient les canalisations et une simple manœuvre dans les toilettes ne suffisait plus. M.Martin se renseigna auprès de son bailleur, oui, un plombier viendrait en début de semaine prochaine. Non, non, pas avant, impossible. Mais ses sanitaires restaient inutilisables expliqua-t-il. Désolé mais on ne pouvait rien faire avant. Nous vous prions de bien vouloir nous excuser pour la gêne occasionnée M.Martin, un plombier viendra dès que possible, merci de votre compréhension. Soit. On le somma de prendre son mal en patience. M.Martin tenta de relativiser, il y avait des problèmes bien plus graves que des chiottes bouchées. Ne serait-ce que de penser à sa situation personnelle. Il prit l'habitude de prendre un café au bar -tabac en bas de chez lui, plus pour utiliser les commodités que par goût pour le café.

Les rendez-vous avec le Pôle Emploi se résumaient à des perspectives apparentées à un cul-de-sac, une perte de temps et à une infantilisation dans les démarches administratives. Un jour l'agent d'accueil avait expliqué vertement à M.Martin que son document n'avait pu être traité parce que la note importante et son numéro d'identifiant ne figuraient pas en rouge sur le papier, et qu'il devait tout recommencer. Désolé monsieur, mais je ne fais que transmettre les consignes, merci de votre compréhension. Bien sûr, il comprenait, les gens autour de lui ne faisaient que leur travail. La faute à personne, chacun se retranchait derrière ses ordres de mission.

Nous allons donner suite à votre appel, veuillez nous excuser pour cette attente. Non, je ne vous excuse pas. Ras-le-bol. Ne pas avoir d'autre possibilité que d'appeler un numéro surtaxé, et se retrouver mis en attente comme dans un coin, avoir l'impression d'entendre les centimes d'euros débiter, comme à l'époque des cartes téléphoniques ! Et ces administrations qui pensaient désamorcer une bombe avec des formules de pseudo-politesse qui sonnaient comme des injonctions. Mais M.Martin était civilisé, il n'allait pas perdre ses moyens ainsi !

Tous ces déboires avec les administrations pouvaient paraître insignifiants, voire risibles pour la plupart des personnes, mais pour une personne fragilisée et économiquement, et psychologiquement, ces démarches heurtaient la sensibilité et épuisaient les bonnes volontés, qui dépensaient inutilement de l'énergie pour se battre avec les absurdités du système, alors qu'elles devaient pouvoir être toutes à leurs recherches d'emploi et la reconstruction de leur personne. D'accord il mettait un mouchoir sur toutes ces insuffisances et se taisait. Ça ne servirait à rien de s'énerver.

Soit.

Enfin, quand il ne l'attendait plus, le plombier arriva.

M.Martin lui ouvrit avec un grand sourire. Le technicien posa sa besace, étala ses outils et commença sa manœuvre. M. Martin, qui avait enfin un interlocuteur en chair et en os en face de lui, se soulagea en lui expliquant tous les déboires qu'il avait rencontrés depuis des semaines. Le plombier, tout à sa tâche, restait muet. M.Martin sentit un voile sombre se poser sur sa raison. Tout alla très vite. Une fureur noire s'empara de lui, las de parler dans le vide, las de supporter les autres qui lui demandaient toujours de faire preuve de compréhension, M.Martin prit l'énorme vase en verre, le plombier, penché sur la cuvette, ne le vit pas. Quand il le jeta sur la tête de sa victime, il pensa rapidement à la réflexion qu’il s’était faite quand on lui avait offert ce vase, si lourd qu’il pouvait tuer un homme. Un sinistre craquement d'os se fit entendre, l'homme s'écroula, la tête dans la cuvette. Martin le considéra un moment, puis reposa le vase. Il remarqua un peu de sang sur le rebord et, soucieux du détail, il le fit disparaître d'un revers de la manche. Il fallait bien que quelqu'un paie pour toutes les égarements et les pertes de temps. A chaque fois on l'avait sommé d'être compréhensif. Marre d'être le petit agneau qui se fait bouffer, marre de fermer sa gueule, marre d'être compréhensif, marre d'avaler des couleuvres larges comme des autoroutes, marre, marre MARRE. Maintenant les rôles s'inversaient, les autres allaient faire preuve de compréhension, c'est tout !

M.Martin avait tout prévu, jusqu'au bain d'acide pour faire disparaître le corps. Il fut cependant interpellé quelques jours plus tard. Des suspicions étaient dirigées à son encontre, mais il avait bien ficelé sa ligne de défense. Une plaidoirie qui se résumait en quatre mots. M.Martin était sûr de lui, ça allait marcher. Il se posait en victime d’un système des plus corrompu, qui sapait selon ses dires toutes les bonnes volontés à force d’aberrations administratives. Pour dire les choses simplement, M.Martin ne supportait plus d’être pris pour un con.

Pendant tout le procès à chaque question qu'on lui posait, il répondait par « merci de votre compréhension. ».  Une expertise psychiatrique conclut que M.Martin était entièrement responsable de ses actes. Il fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de 22 ans, pour meurtre avec préméditation. Avec quelques aménagements et remises de peine, il pouvait espérer sortir après quelques années, il le savait, la justice, comme beaucoup d'institutions, était un château de cartes qui pouvait s'effondrer facilement, tout comme la raison d'un simple citoyen pouvait se dissiper dans ces quatre mots « merci de votre compréhension ».

 

 

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