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Voilà Rosapristina !
25 mars 2013

Dis-moi dix mots semés au loin

Dans le cadre de la semaine de la langue française et de la francophonie, je me suis amusée à écrire ce texte, grâce à l'implusion d'un de mes élèves adultes . Et j'ai eu la joie d'apprendre vendredi 22 mars qu'il avait reçu le 1er prix du concours d'écriture de la Médiathèque de Creil (sous mon patronyme)

 C'était un mercredi soir. A la fin du cours que j'animais toutes les semaines, Frédérik, un des participants m'attendait, les mains derrière le dos. Une fois seuls, il me tendit une feuille, sur laquelle reposait docilement une poignée de mots .

"ça devrait t'intéresser " me dit-il avant de tourner les talons. Et il partit.

Je souris parce qu'il m'avait bien cernée. Depuis que j'étais en âge de tenir un stylo, j'avais toujours été attiré par les mots. Je jetai un oeil distrait sur cette feuille, toute occupée à finir ma journée, mais me promis de m'y pencher plus sérieusement plus tard.

Et pourquoi pas ?

Je décidai de réserver mon prochain trajet à étudier ces dix mots. J'utilisais souvent mes allers-retours ferroviaires pour écrire une carte à de la famille, ou envoyer une lettre à un ami. J'imaginais qu'en avalant les distances comme le faisait le TGV, je devenais la lettre qui allait parcourir des centaines de kilomètres pour s'abandonner entre les mains amies.

 J'étais installée dans le TGV. Personne dans les environs, je pus donc me mettre à l'aise. Je sortis mon inséparable carnet, mon stylo, et m'étalai sur la rudimentaire table rabattable mise à disposition par la SNCF.

 Ecrire une lettre est toujours un moment unique: on se pose, on choisit son papier, son stylo et son encre, avec pour seul vis-à-vis une tasse de café et c'est parti ! Pendant quelques minutes, se consacrer à la personne éloignée, et laisser les mots défiler sur le papier. Construire des phrases, porteuses de nouvelle et d'affection, et former une équipe pour maintenir ce lien entre nous, loin de la facilité des mails et des SMS.

 Une lettre que j'adressais comme un cadeau, parce que j'aimais l'idée d'offrir tous ces petits gestes simples et les émotions qui en découlaient: dans la boîte aux lettres être ravi de tenir enfin entre les mains une enveloppe à l'écriture manuscrite, loin des enveloppes à fenêtre, présage d'un courrier adminsitratif. Deviner à l'écriture qui en est l'auteur, et se dire, "Ah, elle a pensé à moi ! Elle a choisi son papier, la couleur de son encre, tout ça pour m'écrire ! " Se délecter, l'espace d'un instant, du sentiment d'importance qui nous envahit à ce moment . Se dire, le temps de la lecture " Elle a pris du temps pour moi !" Du temps pour délier ses lettres, pour poser cette virgule, et se surprendre même à la liberté d'interprétation dans un mot un peu trop appuyé, ou des points de suspension. Suspendre le temps, à cette époque où tout allait trop vite, où l'on croulait sous les sollicitations, les informations et les désillusions ! La respiration d'une lettre manuscrite était à mes yeux un présent...

 Mettre en mots souvenirs et images fuyantes de nos pensées. Retenir les émotions passionnées ou les exalter avec des mots forts, jouer avec la ponctuation pour suggérer le soufle court, les débats languissants d'une relation amoureuse, ou la fougue d'un coup de foudre.

 "Voilà maintenant six mois que tu es partie en Australie..."

Je commençais souvent mes lettres par "voilà", deux syllabes pour annoncer, pour balancer et présenter sans chichis le sujet !J'avais l'impression d'interpeller de vive voix mon amie, destinataire de ce courrier, alors que je tentai d'écrire des mots vifs. Tout ça pour combler les distances qui nous séparaient et qui faisaient mal. Heureusement les mots consolaient, rassasiaient l'absence. Ecrits ou chuchottés, ils devenaient présence. Anecdotes et grandes nouvelles se succédaient, dans une gymnastique périlleuse à délier correctement les lettres sous l'impulsion chaotique du train. Cette page qui se noircissait était mon atelier, mon stylo un burin, ma main, le marteau et je modelais ainsi les mots pour les faire coller au mieux avec ce que je pensais.

 Les mots nous relient, ils protègent nos pensées parce qu'ils n'en sont que des coquilles imparfaites. On les tourne dans un sens, puis dans l'autre, pour coller au mieux à ce que l'on ressent. Et c'est souvent source de malentendu ! Et si ces malentendus nous reliaient tous, solidaires dans la difficulté à nous comprendre ?

 J'y couchais mes joies et mes attentes, toutes les questions qui trouveraient des réponses quelques jours plus tard, dans ma boîte aux lettres . Je terminai ma lettre comme quand nous nous quittions après de longues heures de confidences, en posant sur nos lèvres des cachets de cire pour protéger nos mots du sceau du secret. Un point rageur sous mon prénom comme signature, je pliai la feuille, et la glissai dans une enveloppe, et tandis que le train ralentissait déjà, autour de moi, mouvements, accélération, affaires rassemblées, manteaux enfilés, portables rangés, et les écouteurs ajustés sur les oreilles des voyageurs pressés.

Je souris en pensant à ces mots qui partiraient pour l'Australie . Je voyais déjà les pigeons voyageurs qui avaient pris les couleurs de la Poste, s'emparer avec un savoir-faire multiséculaire de mes états d'âme, respecter le secret de la correspondance et lui faire parvenir ce courrier.

J'envoyais ainsi un peu de France: le timbre, l'oblitération, l'adresse au dos, et bien sûr, toute ma prose, je voulais que tu saches que, quand on lit une lettre, on repart plus fort et plus heureux, parce qu'on sait qu'il y a quelque part, quelqu'un qui a pensé à nous.

Je savais que tes gestes allaient répondre aux miens : la surprise de la découverte, l'ouverture de la lettre, le temps suspendu, le temps de la lecture, et l'excusable orgueil de penser accaparer tes pensées pendant quelques minutes.

Tu sourirais, peut-être même serrerais-tu cette lettre contre ton coeur, et puis tu la glisserais dans son écrin de papier. Tu garderais en toi ces pensées fugaces, mais qui persisteraient sur la feuille. Et si l'envie t'en prendrait, plus tard, tu pourrais les relire, et revivre une bouffée d'émotions.

 Je descendis sur le quai, et pourtant, le temps d'un trajet, j'étais partie en Australie.

Mais le quotidien avait repris ses droits, comme toujours . L'instant était juste devenu différent, transformé par la magie des mots, mais chacun était reparti de son côté, dans sa vie.

Je repensai à Frédérik . Ces mots, il les avait jeté au loin et je les avais rattrapés dans le train.pour en faire quoi ? Semer des mots oui, mais ils ne valaient que si ils étaient ramassés. Semer pour faire germer. Transmettre. N'était-ce pas là le plus beau rôle que pouvait jouer une poignée de mots ?

Comme Cyrano, je les avais renvoyés, je les avais jetés en touffe, sans les mettre en bouquet !

 Et un peu plus loin, au détour d'un chemin, un homme trouverait ces mots sybillins :

 

Des mots pour dire "ah c'était bien"

Serrés au creux de nos mains

Pour créer du lien

 

Des mots ciselés, en atelier

Des mots rassemblés

Autour d'un encrier

 

Des mots donnés en bouquet

Un poème, un vers griffonné

Sur un papier en liberté

 

Des mots antalgiques, en cachet

Des mots docteur, colifichets

 

Des mots coup de foudre

Fourbes à l'odeur de poudre

 

Des mots et des maux en équipe

Parce que quand tu flippes

La parole sort des tripes

 

Des mots pour protéger :

Des lois , des droits, hélas, abrogés

Des mots pour se révolter !

 

Des mots savoir-faire

Soulèvent les mystères

Des arts familistères

 

Des mots pour toi, mon unique

Des mots d'amour, logique

 

Des mots adressés à ses vis-à-vis

"bonjour, comment ça va aujourd'hui ?"

 

Pour tendre un peu plus mes bras !

Des mots en veux-tu, en voilà !

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